État d’urgence : intervention en séance publique

État d’urgence : intervention en séance publique

« Monsieur le Premier ministre, un nouvel attentat, qui a fait quatre-vingt-quatre morts et des dizaines de blessés à Nice jeudi dernier, vous conduit aujourd’hui à demander au Parlement une quatrième prolongation de l’état d’urgence, que vous aviez décrété légitimement et utilement après les attentats de novembre 2015.
Je veux dire ici que l’ensemble des députés UDI partage l’émotion, la douleur et la colère des Français face à ce nouveau drame terrible que nous venons de vivre. Je veux aussi rappeler que, depuis le début de cette guerre livrée par une nouvelle forme de barbarie qui prend en otage la religion musulmane, l’UDI a toujours soutenu le Gouvernement dans l’effort de guerre.

Qu’il s’agisse de l’intervention militaire au Mali, puis en Centrafrique, qu’il s’agisse des opérations militaires en Irak, puis un peu plus tard, un peu trop tard en Syrie, qu’il s’agisse des votes sur l’état d’urgence, qu’il s’agisse des lois sur le renseignement ou sur l’arsenal antiterroriste, l’UDI a toujours soutenu les engagements de la France et voté en faveur des textes que vous nous avez présentés, même si, et je le regrette, vous avez trop peu souvent écouté nos propositions. Je le rappelle afin que nul ne se méprenne sur le sens de mon intervention.
Nous ne vous avons jamais cherché de mauvais procès sur ce terrain. Nous ne l’avons pas fait parce que nous avons, chevillée au corps, la conviction qu’aucun enjeu politicien, aucun enjeu électoral ne doit affaiblir la position et la politique de la France, de notre pays attaqué et que, pour l’instant, vous dirigez.
Les échecs économiques et sociaux de votre gouvernement sont nombreux, mais il n’est pas nécessaire de nous déchirer lorsque l’essentiel de ce qui fait notre pays, de ce qui fait notre fierté d’être français, est en jeu. En temps de guerre, la France et les Français ont besoin, non d’union nationale, ce qui interdirait tout débat, mais de cohésion nationale afin que nous poursuivions tous le même objectif, même quand débat il y a, même quand celui-ci est nécessaire, notamment lorsque des failles peuvent être révélées et doivent être corrigées.
Mais dans le même temps, monsieur le Premier ministre, je ne comprends pas votre proposition de prolonger l’état d’urgence. En effet, il y a moins d’une semaine, vous disiez encore que celui-ci prendrait fin le 26 juillet, une fois l’Euro et la fête nationale passés. C’est donc que vous jugiez que cet état d’exception ne vous était plus indispensable pour protéger les Français contre les attaques terroristes. C’est donc que vous estimiez que les pouvoirs exceptionnels que vous demandez aux Français, que nous représentons, n’étaient plus nécessaires à notre sécurité.

Je pense que vous aviez raison. Après avoir donné un coup de pied dans la fourmilière – c’est l’objet premier de l’état d’urgence, qui a permis de procéder dans notre pays à plus de 3 200 perquisitions administratives –, après que huit à neuf mois se sont écoulés depuis les attentats de novembre, vous avez eu le temps d’adapter notre droit normal aux défis nouveaux posés par la guerre terroriste que nous livrent les barbares de Daech.

En neuf mois, vous avez eu le temps d’effectuer toutes les perquisitions administratives qui semblaient nécessaires. En neuf mois, vous avez pu assigner à résidence les personnes qui vous paraissaient les plus dangereuses et enquêter méticuleusement sur elles. En répondant tout à l’heure, en commission, à ces objections, le ministre de l’intérieur a avancé qu’il fallait conserver l’état d’urgence « au cas où » – au cas où une de ces perquisitions permettrait d’empêcher un attentat. On peut l’entendre. On pourrait le comprendre. Vous nous demandez donc une prolongation de cet état d’exception au bénéfice du doute. Une majorité du Parlement et du groupe UDI vous l’accordera sans doute, mais cela n’enlève rien à ce qui est, à mes yeux, une erreur de méthode.

Dès le début, nous avons demandé à ce qu’entrent dans le droit normal les outils qui nous semblaient nécessaires pour combattre le terrorisme. La prolongation ad vitam aeternam d’un état d’urgence ne peut pas nous satisfaire. L’état de droit doit combattre le terrorisme et la barbarie.

Certes, je comprends que cet acte de prolongation de l’état d’urgence puisse être un symbole à défaut d’être efficace. Et je sais que les symboles sont importants en démocratie. Mais ils restent symboliques. Or nous avons besoin de bien plus pour gagner cette guerre d’un genre nouveau. Au-delà du symbole, ce dont notre pays, ce dont nos concitoyens ont besoin, c’est que nous retrouvions tous ensemble une véritable cohésion nationale.
 
Celle-ci ne peut naître que d’une stratégie claire, partagée, expliquée aux Français et soutenue par une action déterminée de l’État.
Ce qui crée chez nos concitoyens une colère légitime, c’est de ne pas comprendre pourquoi nous sommes attaqués ; c’est, pour beaucoup d’entre eux, de ne même pas savoir par qui nous le sommes réellement – écoutez les gens après les attentats ! – ; c’est l’impression de subir ces attaques sans en mesurer les raisons, donc sans pouvoir les affronter dans la douleur mais avec le sang-froid nécessaire dans toute guerre.

Il manque aujourd’hui à la France une stratégie de guerre qui seule peut créer la mobilisation nationale indispensable pour l’emporter dans tout conflit. Il n’y a que des mots de guerre dans tous nos discours, mais à mes yeux, le chef de l’État n’a pas permis aux Français de comprendre cette guerre, ses conséquences, les efforts qu’elle nous impose. C’est en cela qu’à mes yeux, il ne remplit pas les missions qu’il est seul à pouvoir assumer : celles de chef des armées et de chef de la nation.

Mais je veux vous rendre justice. Il serait irresponsable de dire que vous n’avez rien fait pour combattre le terrorisme, irresponsable de prétendre qu’un changement de chef d’État et de majorité, même si je le souhaite, suffirait à faire cesser les attentats et à l’emporter. Je veux alerter de cette tribune tous les députés et tous les Français, qu’ils se situent dans la majorité ou dans l’opposition. Si la guerre contre le terrorisme devient un moyen de gagner une élection présidentielle, cette victoire se fera sur les ruines de notre pays.

Car nos ennemis, on l’oublie trop souvent ici, n’ont qu’un seul objectif, une seule stratégie : semer la division dans notre pays. Ils veulent allumer en France la guerre civile qu’ils ont réussi à déclarer et à propager dans leur propre pays.
C’est vrai, monsieur le Premier ministre : de nombreuses lois ont été votées pour combattre le terrorisme, mais elles ne sont que des moyens de combat nécessaires au service d’une stratégie qui hélas n’existe pas. Pour preuve, qui connaît cette stratégie ? Qui l’a partagée ? Qui l’a débattue ? Qui l’explique à nos concitoyens ? Et cela, en période de guerre, relève autant de la responsabilité de l’opposition que de celle de la majorité.
Contrairement à ce que j’ai entendu ces derniers jours, nous n’avons pas affaire à une guerre totale, comme celle qu’ont connue nos aïeux en 1914-1918 ou en 1939-1945, lorsqu’un ennemi connu, parfaitement identifié et compris par les Français tentait d’envahir notre territoire, de faire disparaître notre pays et notre République. Ici, il nous faut livrer une guerre asymétrique, donc une guerre globale.

Pour répondre à l’angoisse et la colère des Français, la première question à laquelle vous devriez répondre est : d’où vient cette guerre ? La réponse est pourtant simple. Daech est le fruit de l’intervention des États-Unis d’Amérique en Irak en 2003, de la destruction du régime baasiste à laquelle le Président Chirac s’était opposé, comme nombre d’entre nous ici.

Les cadres évincés du régime baasiste sont aujourd’hui ceux de Daech. Ils ont remplacé leur ancienne idéologie, largement laïque, par une idéologie nihiliste, qui prend prétexte de la religion musulmane pour organiser une révolte contre la civilisation occidentale que nous représentons et que nous partageons.

La deuxième question est de savoir pourquoi nous avons choisi de livrer cette guerre. Là encore, la réponse est simple. Elle explique pourquoi notre groupe a toujours soutenu les efforts de la France contre les Daechistes ou les pseudo-islamistes, au Mali, en Centrafrique, en Irak, en Syrie ou en Libye.

À travers les otages qu’elle égorgeait pour faciliter son recrutement, à travers ses conquêtes territoriales au Levant, à travers les massacres des minorités religieuses et des musulmans qui à ses yeux ne l’étaient pas assez, Daech ne se cache pas, dans sa propagande que personne ne lit, de viser une domination mondiale, au nom d’une vérité ou d’une loi qu’elle prétend imposée par Dieu, y compris chez nous, dans notre pays ou sur notre continent. En vérité, vous avez préféré, et vous avez eu raison, nous avons préféré, puisque nous vous avons soutenu, les combattre maintenant pour ne pas avoir à le faire plus tard alors qu’ils seraient plus forts.

La troisième question à laquelle il faut répondre en faisant partager notre analyse aux Français si nous voulons l’emporter est : pourquoi sommes-nous plus visés que d’autres ? Pourquoi la France est-elle une cible ? À cette question, il y a deux réponses complémentaires.

La première est que la vision universaliste, laïque et humaniste de la nation française leur est insupportable parce qu’elle est l’antithèse de leur idéologie nihiliste. Là où ils veulent figer les sociétés et les hommes dans une interprétation humaine de la prétendue parole d’un Dieu, nous croyons, nous, à la liberté de croire ou pas, nous croyons, nous, à l’éducation, à la science, à la culture, bref à la possibilité pour chaque homme et pour nos sociétés d’évoluer, de progresser et de s’humaniser. C’est ce conflit idéologique qui fait de nous des cibles privilégiées.

La deuxième réponse, chers collègues de la majorité comme de l’opposition, est aussi simple. Le terrorisme ne pousse, ne grandit, ne trouve des relais que dans des sociétés en souffrance économique, sociale, éducative et morale. Tel est l’état de la France de 2016, dont votre majorité, monsieur le Premier ministre, partage la responsabilité, mais dont elle n’est pas seule responsable. C’est un défi commun que nous devons relever.

Vous n’êtes pas responsables des attentats que nous subissons et que, hélas, nous subirons sans doute encore. Mais la responsabilité de l’actuel chef de l’État est de ne pas avoir répondu à ces trois questions, de ne pas les avoir fait partager par le peuple de France, de ne pas avoir su mobiliser la nation autour de ces enjeux terribles, redoutables et nouveaux, autour d’une stratégie nationale pour y répondre. Le réarmement moral de la nation est son devoir. C’est à lui et à lui seul qu’appartient cette responsabilité. Il est temps qu’il s’en saisisse avant que nos ennemis n’atteignent leurs objectifs en créant chez nous cette guerre civile dont ils rêvent.

Monsieur le Premier ministre, pour faire naître, apparaître et partager la stratégie de guerre qui nous est nécessaire, le groupe UDI vous demande d’organiser dès la rentrée prochaine, à froid, en dehors de l’émotion et des commémorations, un débat parlementaire sur la stratégie de guerre que nous devons partager et que doit adopter notre pays.
Ensuite, chers collègues de la majorité et de l’opposition, il faudra mobiliser les Français pour servir cette stratégie.

Il y a un an, nous vous avons demandé de créer une garde nationale qui permette de rendre nos concitoyens acteurs de leur propre sécurité. Les Français sont admirables quand ils se rendent en masse donner leur sang au lendemain des attentats, lorsqu’ils souhaitent rejoindre nos forces de l’ordre épuisées et auxquelles nous rendons hommage, lorsqu’ils s’inscrivent à des formations de secourisme afin d’être utiles. Dans cette guerre, vous devez les mobiliser et leur donner les moyens de ne plus seulement être des cibles potentielles ou de futures victimes. Nous sommes des millions à être prêts à participer à la défense de notre pays, de nos concitoyens, de nos valeurs républicaines.

Nous sommes des millions à être prêts à être formés, encadrés pour contribuer à protéger ces milliers de lieux publics, de lieux de culte, de sites stratégiques, d’infrastructures de transports ou de sites de transports qui sont autant de cibles que nos forces de l’ordre ne peuvent suffire à sécuriser en permanence. Mobilisez ces Français, mobilisons-les ensemble, et nous gagnerons !
Il existe enfin, déjà, une seconde garde nationale : c’est l’éducation nationale et ses acteurs du quotidien. Car cette guerre globale, monsieur le Premier ministre, est d’abord idéologique ; et nous ne l’emporterons finalement que par l’éducation, la culture et le partage de l’histoire et des valeurs que notre vieux pays nous a offertes en héritage.
Où sont les explications, les débats dans les écoles, les collèges, les lycées les universités pour expliquer notre combat, ses enjeux et les efforts nécessaires ? Au-delà même de l’éducation nationale, dans toutes les administrations, dans toutes les entreprises de notre pays, vous devez créer les conditions de cette explication, de cette mobilisation, de ces débats et du partage des efforts qu’il nous faut produire dans le conflit dans lequel nous sommes engagés. C’est une condition à nos yeux indispensable pour que nos efforts sécuritaires – dont vous avez conduit une grande part – puissent être supportés par les Français, porter leurs fruits, et pour que nous l’emportions. La contrainte que cela nous impose, c’est de ne pas vivre comme si nous étions dans un pays en paix alors que nous disons tous que nous sommes en guerre. Et cela doit être compris par les Français pour pouvoir être supporté.

La France mène une guerre. Elle ne peut pas continuer à subir des attaques et à les banaliser après le temps normal – qui devrait être partagé – de la compassion et des commémorations. Les Français, monsieur le Premier ministre, savent qu’il n’y a pas de baguette magique. Notre pays se sent dépassé alors que les Français, j’en suis sûr, sont prêts à se surpasser et capables de le faire pour peu que leurs chefs les y invitent.

Monsieur le Premier ministre, dans ce quinquennat, nous apprenons tous ensemble que l’histoire est de retour et qu’elle est parfois tragique, même si nous avions préféré l’oublier. L’histoire traverse le quinquennat du président Hollande, et mon intervention au nom du groupe UDI n’a d’autre but, mes chers collègues, que d’inviter celui-ci à ne pas passer à travers de l’histoire.

La France et les Français doivent mener cette guerre et peuvent gagner cette guerre.

Ils ont besoin d’être dirigés, mobilisés, rassemblés dans ce combat qu’il nous faut tous, opposition comme majorité, assumer ensemble autour d’une stratégie nationale que nous devons maintenant définir, clarifier, expliquer et faire partager par nos concitoyens. C’est ce à quoi l’UDI, au-delà du débat sur l’état d’urgence qui n’est que symbolique et technique, souhaite ce soir inviter chacune et chacun d’entre nous à participer dans les mois qui viennent. »