Wendy Bouchard • Vous avez entendu Catherine Nay à l’instant : tuer le père en politique, ce qui peut être extrêmement violent, brutal, c’est fondateur et nécessaire ?
Jean-Christophe Lagarde • Je ne sais pas si c’est fondateur et nécessaire, on voit malheureusement que c’est un réflexe pavlovien de beaucoup de gens. J’ai contribué avec Jean-Louis Borloo à la création de l’UDI, je n’ai en rien eu besoin de tuer Jean-Louis Borloo ! Je regrette d’ailleurs son départ, et je continue à avoir d’excellentes relations avec lui, et souvent, encore ces derniers jours, des échanges avec lui. Il est important d’avoir une filiation en politique, pour savoir d’où l’on vient pour pouvoir définir où l’on va, pour avoir un peu de constance. C’est mieux que d’assassiner son père comme Marine Le Pen ou quelques autres.
Wendy Bouchard • Mais certains vous reprochent, chez vous à l’UDI, un imbroglio en tout cas beaucoup de confusion, vous qui ne tarissez pas d’éloges sur Emmanuel Macron, vous qui lui avez même tendu la main, considérant qu’il était centro-compatible. Je pense à Hervé Morin qui dans le Parisien aujourd’hui s’exprime : « comment peut-on dire après la démission de Macron qu’on pourrait faire cause commune à la présidentielle ? Avant de s’exprimer, la moindre des choses aurait été d’en parler devant les instances de l’UDI, vous engagez notre parti dans une discussion avec Macron, c’est un renversement d’alliances » dit Hervé Morin. Vous trahissez votre propre camp ce-faisant ?
Jean-Christophe Lagarde • D’abord, il n’est pas question d’un renversement d’alliances. Vous savez, c’est d’intérêt très marginal. En général, quand on veut faire parler de soi, il vaut mieux dire du mal de son propre camp. Ca n’est pas ma méthode.
Je pense que la politique nécessite un peu de cohérence et de constance. Aujourd’hui Laurent Hénart, le président du Parti Radical, Jean Arthuis, le président de l’Alliance centriste, Jean-Marie Bockel disent exactement la même chose que moi, et hier Hervé Morin disait la même chose que moi.
Quand je parle de constance, au mois de mars dernier, il appelait à un grand rassemblement et à une recomposition politique que je crois aussi nécessaire. Hervé Morin disait dans Le Monde : « ce rassemblement irait de Valls à Sarkozy ou de Macron à Juppé, et rassemblerait en fait près de 60% des français, c’est d’ailleurs le rêve originel des centristes. » Ce qui était vérité en mars ne devient pas une faute en septembre, il faut juste avoir un petit peu de constance dans la vie publique.
Qu’es-ce que j’ai fait ? Avec mes amis (ça peut, pour se faire un petit coup de pub, choquer tel ou tel), j’ai constaté une chose : Emmanuel Macron, lorsqu’il était Ministre de l’économie, disait des choses différentes du gouvernement. Il était à l’époque applaudi par Hervé Morin, par François Bayrou, par des gens de droite.
Et du jour où il tire les conclusions de son désaccord avec le Président de la République, tous ces gens là se mettent à lui vomir dessus, à expliquer qu’il est pis-que-pendre.
J’ai juste dit que sur l’économie nous pouvions avoir des points de convergence avec Emmanuel Macron, qui incarne le centre gauche. Nous sommes le centre droit, nous pouvons nous parler. Comment peut-on appeler, comme François Bayrou, comme Hervé Morin et quelques autres, à la recomposition de la vie politique française, et quand quelqu’un marque sa rupture avec François Hollande, avec son échec économique et social, dire : « vous, on ne veut pas vous parler » ?
Cette vision de la vie politique où des gens qui peuvent avoir des idées communes auraient l’interdiction de se parler, je la refuse. Nous refusons cette façon de faire, de façon très collective. Que marginalement cela en froisse un ou deux, cela n’a pas grande importance.
Certains députés UDI ont même voté des projets de loi d’Emmanuel Macron, ce qui n’a pas été mon cas parce que je les trouvais émasculés. Alors même qu’il souhaitait accepter un certain nombre de nos propositions, c’est François Hollande qui l’en empêchait. Et aujourd’hui on doit juste par réflexe, juste parce qu’il y’a des mandats à conquérir, refuser de parler ? Cela n’ira peut être pas plus loin, mais je suis ouvert à la discussion. S’il souhaite discuter on discutera.
Il n’y a pas de renversement d’alliance. Les Républicains n’ont pas de leader, ils vont s’en choisir un. Si celui-ci souhaite construire une coalition, pas une soumission comme de 2007 à 2012, en prenant en compte à la fois notre force politique et nos idées, nous y serons disponibles, s’il ne le souhaite pas nous assumerons nos idées.
Wendy Bouchard • Je rappelle que vous ne participez pas à la primaire de la droite et du centre.
Jean-Christophe Lagarde • Ce qui fait d’ailleurs que c’est la primaire de la droite, Mme Bouchard.
Wendy Bouchard • Le positionnement ni à droite ni à gauche d’Emmanuel Macron écrase-t-il les autres concurrents, ringardise-t-il d’autres concurrents ? Je pense à Jean-Luc Mélenchon, à François Bayrou, et même peut-être à Nicolas Sarkozy ?
Jean-Christophe Lagarde • Je ne sais pas s’il ringardise. Mais une chose est certaine : il y’a des gens constamment candidats à l’élection présidentielle. Ils ont gouverné et échoué, ou ils ont essayé de gouverner. En tout état de cause ils ont contribué à l’échec français. Je pense qu’il est difficile, quand on a déjà échoué, parfois souvent, d’expliquer qu’on est la solution de demain. S’il y a recomposition de la vie politique française, l’UDI, Emmanuel Macron, une large part des Républicains doivent en être les acteurs, et il vaut mieux le faire avec des gens qui n’ont pas déjà échoué, qui n’ont pas mis la France dans l’état que nous connaissons, avec des gens qui essaient d’avoir une vision différente et neuve. Si Emmanuel Macron trouve sa place dans cette configuration tant mieux, s’il ne la trouve pas, tant pis.
Je veux rappeler que nous sommes le seul pays qui est en panne alors que toute l’Europe a redémarré. Si nous voulons transformer la France et la préparer au monde d’aujourd’hui on a besoin d’une majorité politique large, et sans doute aussi d’un changement d’acteurs.
Si la prochaine élection présidentielle est exactement la même affiche que 2012, Mélenchon, Hollande, Bayrou, Sarkozy, Le Pen, croyez-vous franchement que les français vont avoir le sentiment qu’on leur propose une solution de sortie, de redémarrage ? Je ne le crois pas.
Tout le monde est obsédé par le fait de savoir qui sera le prochain Président de la République. Je suis obsédé par une chose : après le mois de main 2017, de juin 2017 et les élections législatives, comment gouverner la France ? On a vu que l’UMP, avec une majorité absolue à l’Assemblée nationale pendant 10 ans, n’a pas su réformer la France, n’a pas pu le faire parce qu’il y a des blocages et des corporatismes. Quand vous n’avez pas une majorité large dans le pays, vous ne pouvez pas réformer. On a vu François Hollande, avec une majorité absolue à l’Assemblée nationale, ne pas pouvoir le faire non plus. C’est ça la vraie question.
Je ne suis pas en train de dire « Pourquoi pas Emmanuel Macron », je dis qu »il peut participer à une recomposition. On connaît à peu près ce qu’il dit sur l’économie.
Sur le besoin absolu de reconstruire une éducation nationale qui soit un ascenseur social, de rétablir une autorité de l’Etat qui a totalement disparu, de fédérer l’Union Européenne pour qu’elle soit efficace et qu’on ne subisse pas la mondialisation et la dictature des grands ensemble mondiaux comme la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, je ne sais pas ce qu’il dit. Je ne sais d’ailleurs pas trop ce que disent d’autres, y compris chez les Républicains. Pour l’intant j’ai vu beaucoup d’ambitions personnelles, assez peu de projets.
Nous avons besoin d’un projet parce que le modèle économique et social français est périmé. Il ne correspond plus au monde d’aujourd’hui. Ce ne sont pas les objectifs de mérite républicain et de cohésion sociale qui sont périmés, ce sont les moyens d’y parvenir qui ne fonctionnent plus. Depuis 35 ans, on reprend les mêmes recettes, on refait les mêmes choses, et on va aux mêmes échecs.
Je veux me battre pour que la France ne soit pas condamnée aux mêmes échecs, avec les mêmes recettes, et avec les mêmes chefs qui ont déjà échoué.
Nous allons essayer de contribuer à une coalition. Si elle n’est pas possible, nous assumerons à la fois nos valeurs, notre projet et nos idées dans le débat et dans le combat présidentiel et législatif.
Lire les interviews de Franck Reynier, Laurent Hénart, Jean Arthuis