Le Point : Parmi les nombreuses mesures annoncées par Manuel Valls pour lutter contre la discrimination lors des contrôles de police, il y a l’idée de généraliser le port d’une caméra-piéton par les policiers. Utile ou gadget ?
Jean-Christophe Lagarde : C’est une blague ! Le Premier ministre pense-t-il sérieusement favoriser l’ascenseur social en posant des caméras sur les policiers ? Il cherche simplement à faire oublier la promesse non tenue de mettre fin aux contrôles au faciès. Nicolas Sarkozy, quand il était ministre de l’Intérieur, avait déjà généralisé les caméras dans les voitures et lancé une expérimentation des caméras-piéton. Cela n’a pas marché. Les caméras-piéton ne sont pas une mesure d’inclusion sociale.
Manuel Valls a également annoncé que les préfets se substitueraient aux maires qui ne construiraient pas les 25 % de logements sociaux dans leur ville comme l’impose la loi SRU. Cela vous semble-t-il aller dans le bon sens ?
C’est prendre le problème de la mauvaise façon. Il ne sert à rien de décréter un objectif de 25 % de logements sociaux tant que l’État n’a pas neutralisé le prix du terrain. Quand en Seine-Saint-Denis, le prix du mètre carré construit est de 200 euros et qu’il est de 2 000 euros à Neuilly, les maires ne sont pas placés devant la même situation. Quand bien même certains maires voudraient construire des logements sociaux, ils n’en ont pas les moyens tant le prix des terrains est élevé. C’est à l’État de prendre à sa charge le différentiel entre les communes riches et les communes pauvres. C’est une mesure de solidarité territoriale indispensable pour favoriser la construction de logements sociaux dans les villes riches afin de favoriser la mixité sociale.
Mais que faire dans les villes qui ont déjà 65 à 70 % de logements sociaux ?
La mixité sociale doit fonctionner dans les deux sens. S’il y a un plancher de 25 %, il faut instaurer un seuil maximum de 40 % par ville. Car au-delà de ce seuil, on crée des ghettos et l’on ne permet plus aux citoyens d’en sortir. Il faut donc pouvoir revenir en arrière en favorisant la vente de logements sociaux à leurs locataires. Plutôt que de les condamner à payer un loyer toute leur vie, permettons l’accès à la propriété. Les aides au logement permettraient ainsi à ces familles de rembourser leur emprunt. Elles auraient enfin de quoi se constituer un capital pour leurs enfants. C’est ce que je fais à Drancy en vendant chaque année entre 12 et 20 logements sociaux à leurs locataires.
Un seuil minimal à 25 % de logements sociaux par ville, est-ce suffisant ?
Non, car il ne règle pas le problème de ceux dont les conditions de vie s’améliorent. Ils deviennent trop riches pour disposer d’un logement social et sont encore trop pauvres pour accéder à un logement au prix du marché. C’est la trappe à la classe moyenne ! Il faut donc redéfinir le seuil des 25 % en le décomposant : 5 % de logements très sociaux pour les plus humbles, 10 à 15 % de logements sociaux, et 5 à 10 % de logements sociaux un peu plus chers pour le bas de la classe moyenne. Car il n’y a pas un type de logement social, mais plusieurs types. C’est un véritable parcours locatif que je propose d’instaurer qui ne rejette pas brutalement les gens hors du système des aides dès lors qu’ils s’élèvent dans la société.
Manuel Valls a été longtemps maire d’Évry, une ville qui est confrontée aux problèmes. Il ne peut les ignorer…
Ma principale divergence avec les socialistes, c’est le refus de prendre en compte l’aspiration des gens à programmer leur vie. Je ne parle pas forcément de Manuel Valls, mais il y a encore des gens au PS qui voit les habitants des quartiers sensibles comme une clientèle électorale captive. Il ne faut pas qu’ils en sortent. D’où la désespérance des classes populaires qui se tournent alors vers le FN. On parle quand même de 8 millions de Français. La République ne peut pas se détourner de ces citoyens.
On peut vous objecter que le PS a perdu depuis longtemps les classes populaires. Son électorat, ce sont plutôt les quartiers bobos. S’il veut l’élargir, il a donc tout intérêt à sortir les quartiers de la misère sociale pour fabriquer ses futurs électeurs…
Alors, pourquoi le plan de Manuel Valls ne comprend pas une ligne sur l’éducation ? C’est la grande oubliée du plan banlieues. L’Éducation nationale ne prend pas en compte les besoins spécifiques des enfants des quartiers. On applique la même éducation à tous alors qu’on devrait laisser aux établissements scolaires une grande autonomie afin de répondre aux lacunes des enfants des quartiers, notamment leur permettre d’apprendre le français entre 3 et 6 ans, au moment où c’est le plus facile pour eux ! On ne le fait pas. Sans dépense supplémentaire, il y a absolument besoin de différencier les enseignements en fonction des difficultés des élèves. Chez moi, à Drancy, dans le quartier autour de la gare, une communauté asiatique s’installe en nombre depuis quelques années. Les deux tiers des enfants sont allophones à la maternelle. L’Éducation nationale est incapable de s’adapter à cette situation. On va devoir attendre le CP pour commencer à leur apprendre la langue française. Pendant ce temps-là, les écarts se creusent. À trois ans, quand ils jouent dans la cour, ils ne se mélangent pas avec les francophones, car ils ne se comprennent pas. En tant que maire, j’ai pris en charge d’apprendre le français à leurs parents.
La gauche a repris la recette des emplois aidés pour soutenir les jeunes des cités. Ce que vous critiquez. Pourquoi ?
Depuis toujours, nous épuisons la recette du traitement social du chômage. Ça ne marche pas. Ces emplois d’avenir sont financés à 75 % par l’État et à 25 % par les collectivités locales. Donc, on case les jeunes dans des administrations pour lesquelles ils n’ont guère de goût. Cet argent aurait dû être alloué aux PME et TPE. L’État aurait payé 75 % du salaire pour l’embauche des jeunes pendant trois ans. Ils auraient appris un vrai métier au sein des PME et des TPE. Cet argent public aux entreprises n’aurait pas été illégitime puisqu’il s’agit, en fait, de rattraper la faillite de l’Éducation nationale dans sa mission de formation.
Au passage, nous aurions relancé l’économie et boosté les quartiers populaires où se créent le plus d’entreprises en France. Si ces jeunes créent des entreprises, ce n’est pas par goût de l’aventure, c’est parce qu’ils ne trouvent pas de travail et espèrent ainsi créer leur propre activité. Il fallait les aider de cette façon, en les aidant à créer leurs premières embauches. C’est ce que nous avions proposé avec Jean-Louis Borloo en 2012 lors du débat sur l’instauration des contrats d’avenir. Nous n’avons pas été entendus par les socialistes. Bien sûr, puisqu’ils pensent qu’en employant les jeunes dans les collectivités, ils en font une clientèle électorale dépendante des élus.
Que va-t-il se passer, au bout du compte, avec ces contrats d’avenir ? Les collectivités locales vont les garder au bout de trois ans, car sinon elles devraient elles-mêmes payer leur chômage. Et cela se traduira par la suite par des hausses d’impôts locaux. En définitive, le plan gouvernemental est coûteux au lieu d’être utile.
L’intégralité de l’entretien sur le site du Point • Propos recueillis par Emmanuel Berreta