Atlantico: Comment se passe cet été – qui aura marqué la France – à Drancy, la commune de Seine Saint Denis dont vous êtes le maire et qui accueille une forte proportion de population immigrée ou d’origine arabo-musulmane ? Où en sont les relations entre les gens ? Comment cette population a-t-elle réagi/régit-elle aux dernières attaques terroristes à caractère islamiste survenues en France ?
Jean-Christophe Lagarde : Cette population réagit comme le reste de la population française, avec de l’inquiétude et de la colère.
L’inquiétude concerne la répétition des actes barbares auxquels nous faisons face depuis un an et demi, mais également la crainte d’être pointée du doigt. Pour ce qui est de la colère, elle est double : elle est tournée contre ces actes barbares, mais également – même si cela s’est calmé après l’attentat de Saint-Etienne du Rouvray –contre les repr��sentants de la communauté musulmane qui ne réagissaient pas suffisamment à leurs yeux pour se démarquer des terroristes de Daech mais également pour affirmer leur propre rôle, la part qu’ils doivent et souhaitent prendre dans cette guerre qui nous est livrée.
La caractéristique de la communauté musulmane est de ne pas être organisée, de ne pas avoir de lieux pour se rencontrer. Pour la communauté musulmane, comme pour la communauté nationale, un catalyseur est nécessaire, et ce catalyseur peut venir d’une initiative de personnalités de cette communauté, connues et crédibles, comme on l’a vu avec l’appel lancé dans le JDD.
Concernant les réactions suite aux différentes attaques terroristes à caractère islamiste en France, une partie minoritaire a pu dénoncer les attentats deCharlie Hebdo tout en affirmant que le journal s’était quand même livré à de la provocation. On ne retrouve plus du tout cet état d’esprit depuis les attentats du 13 novembre, et encore moins depuis l’attentat de Saint-Etienne du Rouvray où le haut-le-cœur a été général. Comme le reste de la communauté nationale, la communauté musulmane est victime de ces attaques ; des musulmans meurent aussi sous les coups des terroristes. Elle est aussi victime des regards depuis le début de ces attaques – je me souviens d’ailleurs, après les attentats du 13 novembre, d’un fonctionnaire de police arabe, musulman non-pratiquant, à qui son supérieur avait demandé quel camp il choisirait dans le cas où un conflit éclaterait.
La communauté musulmane française ne se sent pas représentée par le Conseil français du culte musulman. C’est pour cela que j’avais demandé, après les attentats de janvier 2015, au président de la République, d’organiser l’islam de France. Il ne s’agit pas d’interférer dans le dogme mais d’avoir un interlocuteur légitime comme cela est le cas pour les autres religions monothéistes en France. Cela est d’autant plus indispensable si l’on considère les spécificités de la laïcité française. Cela implique donc une réorganisation du CFCM, une organisation de la société civile. Cela nécessite également, sans doute, qu’il y ait une représentation cultuelle et culturelle car comme dans le cas de la religion catholique, vous avez des personnes qui sont catholiques de culture mais non-pratiquantes ; on retrouve également cela dans la religion musulmane et ces personnes veulent être représentées. Toute la difficulté pour la communauté musulmane réside dans le fait qu’une minorité animée par une idéologie politique nihiliste a pris prétexte de leur religion pour mener une guerre.
Que pensez-vous du « pacte » avec l’islam de France que souhaite mettre en place Manuel Valls ?
Ce que je propose suit une direction similaire à celle du pacte proposé par le Premier ministre. En premier lieu, nous avons besoin de représentants légitimes qui respectent de façon absolue les lois de la République. L’article 1 de la relation des cultes avec la République est qu’il n’existe aucune loi divine qui s’impose à la République, à un citoyen français, etc. Ceci est d’ailleurs reconnu par les autorités musulmanes de référence dans des pays comme l’Egypte, l’Arabie saoudite ou le Qatar qu’on a pourtant souvent pointé du doigt. Ce comportement avait été révélé lors des débats sur le port du voile.
Il convient également de trouver des moyens de financement du culte sans que celui-ci dépende de l’étranger. Il est nécessaire que l’islam de France soit financé par l’islam de France, et que l’on coupe le cordon entre ceux qui financent et ceux qui dirigent les lieux de culte et les imams. C’est aux musulmans de France de participer au financement de leur culte. J’évoquais déjà cela en 2007. En l’état actuel du financement du culte musulman, il est possible que des Etats étrangers financent des activités religieuses sur notre territoire et utilisent ce financement contre les intérêts et les valeurs de la République. La difficulté néanmoins pour le financement du culte musulman par les musulmans eux-mêmes, c’est que ce financement parvient directement au lieu de culte. Tant que vous n’avez pas de lieu de culte, il est difficile de se financer de façon indépendante. Et sans financement indépendant vous n’avez pas de lieu de culte. C’est un cercle vicieux qu’il faut briser pour barrer la route aux influences étrangères comme aux extrémistes. Ce système ne convient pas et il faut trouver d’autres modalités de financement, par exemple à travers la participation sur la viande halal, une idée de Dominique de Villepin que tout le monde a reprise depuis. Pour ce qui est des financements étrangers comme des financement privés, nous devons exiger que soit créé un intermédiaire qui coupe le cordon entre celui qui finance et celui qui organise le culte. Qui paye ne doit plus commander. Un tel système a été aussi imaginé par de Villepin, mais il est resté lettre mortre. L’objectif d’une telle Fondation des œuvres de l’islam de France serait ainsi de redistribuer l’argent donné entre les différents lieux de culte, en tenant compte des besoins existants, sans que personne ne se serve de ses dons pour influencer les pratiquants. On accuse très souvent l’Arabie saoudite ou le Qatar d’être à l’origine du financement d’une partie du culte musulman en France, et il faut être vigilants. Mais les pays qui interviennent le plus dans le financement de cette religion sur notre sol sont l’Algérie, le Maroc, la Turquie et veulent ainsi maintenir un lien avec leurs ressortissants ou leurs descendants. A mes yeux, il ne devrait plus y avoir sur le territoire national d’associations de confession musulmane loi 1905 qui puissent être financée en dehors du passage de l’argent par la Fondation des œuvres de l’islam de France. Il faut éviter que la religion soit ainsi utilisée à des fins politiques, que cela soit le fait d’un Etat, de riches donateurs ou d’un groupe terroriste. Très souvent, lorsqu’on s’intéresse de près aux conflits internes à certaines mosquées, au-delà des prétextes religieux souvent politiques liés au conflit israélo-palestinien, on remarque que ces disputes trouvent leur origine dans le financement et sur son utilisation. A l’heure actuelle, l’argent circule en liquide dans les mosquées. La Fondation mentionnée plus haut permettrait de régler ce problème.
Vous avez parlé de risque de guerre civile et dénoncer l’hystérisation du débat politique autour du terrorisme. Avez-vous l’impression que la situation sur le terrain dérape de plus ou plus ou bien, au contraire, que la résilience des Français demeure ?
Je pense que la situation a dérapé après Nice. Le président de la République a la responsabilité de nous faire prendre conscience que nous sommes en guerre, comme en témoignent les différentes interventions militaires dans lesquelles notre pays est engagé (Mali, Centrafrique, Syrie, Irak).
Il est impératif de dire aux Français qu’on ne peut pas vivre en temps de guerre comme on vit en temps de paix. Voilà des mois que je réclame la mise en place d’une garde nationale. Or le président n’envisage son lancement que pour la rentrée prochaine! Le temps de réaction est beaucoup trop long. On ne peut pas gagner une guerre quand la population n’est pas mobilisée – ce que permettrait cette garde nationale en vue de la sécurisation du territoire et de la population– et surtout quand celle-ci n’est même pas consciente de cet état de guerre dans lequel nous nous trouvons actuellement. On a voulu faire croire qu’après un attentat, et le temps de l’émotion et de la commémoration, les choses allaient revenir à la normale ; or ce n’est pas le cas : la guerre que nous devons livrer sera longue, et personne – gouvernement et opposition – ne doit pas voir peur de dire qu’il y aura d’autres attentats que nous ne parviendrons pas à éviter. La faculté de résilience que nous devons développer dans l’esprit des Français réside en cela. Dans la mesure où Daech ne peut pas nous envahir militairement, ni nous soumettre, son objectif est de provoquer une guerre civile en France, comme l’organisation l’a fait en Syrie et en Irak. Au-delà de l’émotion, de la colère, de l’envie de vengeance exprimée par certains, chaque Français doit faire en sorte de comprendre que cela ne doit pas avoir lieu entre nous mais contre eux. Sinon nous leur offrons la seule victoire qu’ils peuvent espérer.Et faire comprendre cela, ne pas se noyer dans des querelles absurdes, cela relève de la responsabilité de la majorité comme de l’opposition. Cette dernière ne peut pas vouloir faire croire – parce qu’il y a une élection présidentielle qui arrive – qu’il suffirait de changer de président pour que la menace terroriste et la guerre disparaissent. Ce n’est pas vrai!Je crains beaucoup que le débat présidentiel soit détourné de ses principaux enjeux. Quel que soit le président de la République que nous aurons, cette guerre perdurera et aussi bien la majorité et l’opposition devront la livrer ensemble. Il ne peut pas y avoir de différences entre les deux sur le fait que nous voulions résister à la menace terroriste. Par conséquent, cette guerre n’est pas un enjeu de la présidentielle. Or, surfant sur l’émotion, certains cherchent des coupables plutôt que des solutions. Lors de la guerre 1914-1918, alors que tout le pays était mobilisé par l’effort de guerre, il y avait des débats d’ordre économique et sociétal mais pas sur cet effort de guerre. L’effort de guerre doit être mené ensemble dans le contexte actuel, ce qui n’empêche pas que les débats sur l’emploi, le logement, l’éducation, etc. doivent demeurer entre les différents acteurs politiques. Néanmoins, je dois dire qu’après l’attentat de Saint-Etienne du Rouvray, la majorité et l’opposition ont semblé se reprendre un peu. Ce que j’ai pu observer aussi autour de moi, et notamment à Drancy, après Saint-Etienne du Rouvray, c’est que la population a compris que l’objectif de Daech était de nous monter les uns contre les autres. Puisqu’ils ne peuvent pas nous affronter réellement, ils cherchent à se que nous nous affrontions entre nous. La résilience des Français me paraît meilleure depuis ce dernier attentat, comparé aux réactions suscitées après Nice.
Nicolas Sarkozy a tenu, depuis les attentats de Nice, des propos forts sur le sujet. Cela vous parait-il aller dans la bonne direction?
Je ne pense pas que ses propos vont dans le bon sens. Après les attentats de Nice, il n’y avait qu’à voir le ridicule de la situation suivante : un ancien président de la République qui demande qu’on vote un texte – déjà voté en juin – et dont il demandait les décrets d’application alors que ce texte n’avait pas besoin de décrets d’application. Dans l’affaire de Nice, il n’y avait pas de coupables, mais des erreurs dans la sécurisation de la manifestation par le fait qu’on a sous-estimé ce type de risque. L’annulation de la braderie de Lille – qui navre tout le monde – était peut-être effectivement nécessaire parce que nous ne sommes pas capables d’organiser ce type de manifestation dans le contexte qui est celui que nous connaissons actuellement. Je le redis, on ne peut vivre en temps de guerre comme en temps de paix!
Après Nice, un certain nombre de personnalités politiques ont affirmé qu’il faudrait enfermer tous les fichés S. Ceci est absurde car dans les fichés S, vous avez tous les gens que l’on considère dangereux pour la sécurité nationale, y compris des extrémistes de gauche et de droite. Sur les 26 catégories relatives aux fichés S, il conviendrait de placer sous bracelet électronique ceux relevant des catégories les plus dangereuses, ce que le gouvernement a hélas refusé.
Estimez-vous qu’il y a toujours « un problème de leadership chez les Républicains » ?
Il est évident que le problème du leadership chez les Républicains demeure comme en témoigne la primaire qui n’a qu’une seule vocation : demander aux Français qui se sentent proches de ce mouvement politique de désigner celui qui sera leur leader. Il y a une multitude de candidats et aucun patron reconnu, sinon la primaire n’aurait pas été organisée. Nous verrons à l’issue de cette dernière si le candidat désigné souhaite construire une coalition avec nous comme cela a été le cas lors des élections départementales et régionales.
Ce que j’ai observé de 2002 à 2012, c’est que le mécanisme politique du parti unique, avec la majorité UMP a été un échec. Si cela avait réellement fonctionné, le problème du chômage aurait été résorbé, l’Education nationale revalorisée, la dette aurait diminué, etc. Or, cela n’a pas été le cas. A cela s’ajoute la défaite à toutes les élections locales, et in fine, à la présidentielle de 2012. Tel est le bilan de l’absence de coalition décidée par l’ex-UMP au cours de cette période.
Comment faire exister l’UDI dans le contexte actuel qui braque les projecteurs sur les personnalités les plus connues, les « gros candidats » en quelque sorte ? Le terrorisme est-il en train d’étouffer la voix des petits partis ? Quelle est la spécificité centriste que vous voulez apporter au débat ?
Je ne crois pas que ce soit le contexte actuel qui étouffe, mais le contexte politique et médiatique français qui est incroyablement conservateur. Depuis des années, on nous repropose les mêmes acteurs et les mêmes échecs. Si je suis bien déterminé à une chose, c’est que le choix proposé aux Français pour 2017 ne soit pas le même que celui proposé en 2012. Imaginez que ceux qui ont échoué au pouvoir ou à le conquérir soient de nouveau seuls proposés aux Français après dix années d’échec dans tous les domaines : c’est un suicide collectif ! Je vois bien les intérêts économiques qui se cachent derrière ce conservatisme. Dans ces conditions, le mandat 2017-2022 ne pourrait pas se dérouler sereinement jusqu’à sa fin. Les Français ne veulent plus de tous ceux qui ont échoué. Or quand on voit le jeu qui est en train de se mettre en place, et auquel participent de grands médias traditionnels, on remarque qu’on nous présente de nouveau le duo Mélenchon-Le Pen, Hollande et Sarkozy, ou bien encore François Bayrou. Il n’y a là aucune chance de nouveau départ pour la France.
Le système économique, politique et social de la France est périmé. Il a été créé pour un pays qui n’existe plus : une France repliée sur elle-même, faisant peu d’échanges avec l’extérieur, où l’Etat était le principal détenteur du capital de grandes industries, le principal investisseur, etc. Le danger pour cette élection, c’est que le duo Mélenchon-Le Pen fasse croire que l’enjeu de la présidentielle soit l’Europe, ce qui est un mensonge absolu. En effet, si l’Europe a besoin d’être refondée, ce qui ne va pas en France n’a rien à voir avec l’Europe. Prenons l’exemple de l’emploi : cela n’a aucun rapport. On le voit bien puisque la plupart des autres Etats européens sont parvenus à recréer des emplois contrairement à la France. De même pour le logement ou l’Education nationale qui sont des problèmes franco-français. Il faut répondre à cette question : comment se fait-il que nos voisins, qui ont le même cadre européen et qui évoluent comme nous dans un monde globalisé, y arrivent alors que nous n’y arrivons pas ?
La France a besoin d’un nouveau modèle social et économique. Aujourd’hui, 85% des emplois créés en France le sont par des TPE et des PME. Ce sont elles qui permettront de résoudre le problème du chômage. Or à cause du conservatisme de notre système, tout est orienté en faveur des très grandes entreprises alors que leurs bénéfices se font actuellement à l’extérieur. Ce ne sont donc pas elles qui vont relancer l’emploi. Il est donc nécessaire d’écouter des personnalités de la CGPME, de l’Union des artisans, afin de se tourner vers ces structures. Prenons un exemple : nous avons fait un nombre invraisemblable de réformes fiscales depuis une quinzaine d’années. Or il y a une chose que nous n’avons pas changée : le niveau d’imposition des sociétés en fonction de leurs chiffres d’affaires. Les entreprises sont soumises à un taux d’imposition de 15% jusqu’à 38 120 euros de bénéfices. Passé ce seuil, le taux grimpe à 33,33%. Pourquoi ne pas avoir revu ce taux afin de laisser respirer les TPE et PME pour qu’elles recouvrent de la trésorerie, et donc une capacité d’activités et avec elle d’embauche ?
Agir sur le logement peut aussi permettre de proposer un nouveau pacte économique et social au pays. Pour créer des logements en France, on agit de deux façons : tout d’abord par les subventions au logement social, de l’ordre de 12%. On consacre ainsi 12% du prix d’un logement à permettre à des personnes de vivre toute leur vie, pour la plupart d’entre eux, dans un logement dont ils auront payé 2,5 fois le prix sans rien avoir laissé à leurs enfants. Par les différents systèmes de défiscalisation des investisseurs également, on finance entre 30 et 40% de la construction d’un logement privé qui sera occupé par un locataire. On remarque ainsi que le logement privé est davantage subventionné que le logement social. Dans les deux cas, on constate que la volonté est de faire en sorte que les français restent locataires malgré l’argent public déversé par milliards. Je suis favorable à ce que chaque Français devienne propriétaire de son logement avec le même argent donné aujourd’hui à un investisseur privé ou au bailleur social. Sans dépenser plus d’argent, on ouvrirait une nouvelle sécurité sociale aux Français. L’Italie a subi une diminution de 16% de sa richesse nationale pendant la crise, mais elle n’a pas connu de crise sociale comme dans d’autres pays ; là-bas, 85% des habitants sont propriétaires de leur logement. Quand à la fin du mois vous n’avez pas de logement à payer et que vous faites face à des difficultés financières, les seuls besoins que vous avez sont de vous nourrir et de vous vêtir.
Considérons un autre exemple, celui des 35 heures dont la droite ne cesse de parler alors qu’elle n’y a pas touché lorsqu’elle était au pouvoir, de même que la baisse des impôts. Réduire la fiscalité tout en étant responsable – c’est-à-dire sans grossir le poids de la dette – nécessite de diminuer les dépenses publiques et donc de sabrer drastiquement dans les dépenses sociales. Or ils ne l’ont jamais fait et, passé le temps de la campagne électorale, ils ne le feront pas et. Pour améliorer la situation économique du pays, je propose que nous laissions la fiscalité comme elle est car tant que nous n’avons pas recréer de la richesse, nous ne pouvons pas décider de la manière dont on la partage. La bonne solution c’est que nous travaillions plus pour faire grossir la riochesse nationale, renflouer les caisses de l’Etat et redonner de la compétitivité aux entreprises afin qu’elles aient besoin d’embaucher. Avoir une réforme des retraites repoussant l’âge au départ, en envisageant notamment de travailler moins de jours lorsqu’on avance dans l’âge, est une nécessité. Avant 1997, travailler 39 heures par semaine permettait d’éviter l’endettement de l’Etat puisqu’en réalité, on s’offre les 4 heures de RTT à crédit sur la dette, ce qui n’est pas responsable. Ces heures de loirsirs que nous nous offrons seront payées par nos enfants, comment l’accepter? Avant cette date, nous avions moins de chômage, moins de dette et plus de pouvoir d’achat. Cela ne coûterait rien à personne et rapporterait à tout le monde.
Dernier exemple vis-à-vis duquel les Républicains ne nous ont jamais écoutés lorsqu’ils étaient au pouvoir et qu’ils décidaient seuls de tout : la protection sociale française ne peut pas continuer à peser essentiellement sur le travail des Français. Le fait d’avoir une TVA qui finance une part de notre protection sociale permettrait d’avoir des produits étrangers qui financent nos médicaments, nos retraites, notre assurance-chômage, etc. Cela doit être fait rapidement et de façon massive, à hauteur de 40 milliards, ce qui n’aurait pas d’incidence sur le pouvoir d’achat des Français car cela ne génère pas d’inflation.
A qui croyez-vous que le contexte actuel bénéficie ? Pensez-vous qu’il soit juste de dénoncer une course derrière le FN ou ses électeurs, ou plutôt que ce type de propos est dépassé et qu’il mène à un déni de réalité ?
Je ne suis pas sûr que ce contexte bénéficie à qui que ce soit. Il y a davantage d’intelligence dans l’esprit des Français que ses « élites » politiques ne le croient, ce que j’ai pu moi-même constater. Je pense que les Français ont reçu avec méfiance les déclarations d’autosatisfaction du gouvernement et un certain nombre de critiques incongrues formulées par l’opposition.
Ceux qui voudront imiter le FN en seront pour leurs frais parce que ce parti n’apporte pas de solutions.
Comme le disait Jean-Marie Le Pen, face à une absence de solutions, les électeurs préféreront l’original à la copie, l’excès à l’imitation. Ceci s’explique par le fait que nous sommes en présence d’une protestation. Les Français ont besoin de solutions et ce n’est pas en imitant l’absence de solutions du FN qu’on peut y parvenir. Or les solutions existent. Ce que dit l’extrême droite – mais aussi l’extrême gauche même si on l’entend moins – consiste à brosser dans le sens du poil. Or les solutions nécessaires peuvent ne pas faire plaisir aux électeurs. Elles n’en restent pas moins nécessaires. Ce que les Français reprochent aux élites ayant déjà gouverné et échoué, c’est leur inefficacité. La plupart du temps, les politiques réagissent au détriment de la réflexion, ce qui est amplifié par le caractère immédiat et instantané de l’information. Or une société ne peut pas être ballottée entre l’émotion du lundi et celle du mercredi. Prenons un exemple : ces derniers jours, pour sauver la République du terrorisme, Nicolas Sarkozy nous explique qu’il ne faut plus qu’il y ait de menus de substitution dans les cantines. On va faire une loi pour imposer aux maires de France un menu unique à la cantine? Cela n’a pas de sens, et l’on voit bien que l’on répond à une émotion ; on s’interdit alors la réflexion.
Pour revenir sur le FN, je pense que le déni de réalité se trouve précisément dans l’imitation. Si l’on considère la problématique du terrorisme, le rétablissement des frontières n’aurait pas permis l’évitement des derniers attentats. Je tiens à rappeler que la France a connu des attentats en 1982, 1986 et 1995 à l’époque où les frontières étaient en place. A cela s’ajoute le fait que les terroristes d’alors venaient de l’étranger. Ils ont quand même traverser des frontières. Aujourd’hui, on nous dit que le problème va être résolu grâce à la remise en place des douaniers aux frontières françaises alors que les auteurs des derniers attentats ont grandi et vivaient en France. De qui se moque-t-on? Pour être efficace contre le terrorisme et le grand banditisme, nous avons besoin d’une police fédérale et d’un parquet fédéral ce qu’on n’ose pas dire aux Français. Aux Etats-Unis, quand vous passez d’un Etat à l’autre, le FBI continue à vous poursuivre alors que lorsque vous passez de la France à la Belgique, on peut ne pas savoir que vous êtes recherché dans l’Etat voisin, comme cela a été le cas de Salah Abdesslam. Depuis des années, je dis que le traité instituant l’espace Schengen doit être renégocié car il conçu dans l’Europe d’avant la chute du mur de Berlin. Depuis, les enjeux migratoires et sécuritaires ont changé. L’Allemagne a désormais besoin d’une main d’œuvre extérieure pour faire tourner son économie, tout simplement parce qu’il n’y a plus de jeunes pour remplacer ceux qui partent à la retraite. Une fois en Allemagne, ces personnes peuvent se réinstaller plutôt facilement dans un autre pays de l’espace Schengen. Il faut que la réadmission dans un autre pays ne soit pas possible sans l’accord de ce pays, où on n’a pas besoin d’eux, et ce avec des conditions très strictes.
Alain Juppé et Nicolas Sarkozy ont développé leur propre discours sur le terrorisme et l’islam. Dans une logique de 2ème tour de la présidentielle, quel est le discours sur ces deux thèmes qui vous parait le meilleur pour la France ?
Je considère que tout débat visant à satisfaire la stratégie de l’ennemi, c’est-à-dire stigmatiser une partie de la population française, aurait pour résultat d’affaiblir la France. Or cela ne doit pas être le rôle d’un futur président de la République. Une telle stratégie condamne le candidat, à nos yeux en tout cas à l’UDI.
Dans le cas où Marine Le Pen se retrouverait au deuxième tour de la présidentielle, je voterai pour le candidat démocrate qui sera en face d’elle. Cela permet de libérer notre choix, notre décision et notre autonomie au premier tour. Si le leader que « Les Républicains » se seront choisis ne veut pas d’une coalition avec nous, nous devrons assumer notre projet et notre identité.
Depuis juin dernier, vous avez commencé à investir vos premiers candidats pour les législatives de 2017. Quelle est votre stratégie pour ces élections compte tenu du fait que Nicolas Sarkozy a affirmé ne vouloir vous donner aucune circonscription ?
Il est logique que la famille politique centriste – qui est humaniste et fédéraliste – prépare les élections comme toute autre. Pour une fois, nous sommes prêts un an avant l’échéance. Environ 250 candidats ont été investis. En attendant la primaire des Républicains, nous sommes partis du principe que nous souhaitons incarner l’alternance.
C’est pour cela que nous avons présenté des candidats face aux élus sortants de gauche et d’extrême-droite. Nous verrons ce qu’il adviendra de cette stratégie à l’issue du vote de la primaire à droite. Si le leader choisi décide de ne pas collaborer avec les centristes, chacun devra alors assumer ses responsabilités dans l’ensemble du pays à la présidentielle comme aux législatives.
Dans l’hypothèse où Alain Juppé perdrait la primaire, François Bayrou a affirmé à plusieurs reprises qu’il serait candidat. Si ce scénario devait se préciser, refuseriez-vous toujours de faire union pour la présidentielle avec le MoDem ?
A l’UDI, beaucoup de personnes ont soutenu et collaboré avec François Bayrou lors de ses trois échecs successifs à la présidentielle. Une majorité d’entre eux ont regretté que cela soit à chaque fois une aventure personnelle ayant abouti à des décisions contestables, dont la plus contestable a été celle d’avoir fait élire François Hollande. Quand on observe le parcours ou les déclarations actuelles de François Bayrou, on remarque que son soutien à Alain Juppé se nourrit en même temps d’un espoir de candidature personnelle en cas d’échec d’Alain Juppé. Cela dit, si au lendemain des élections législatives, il y a possibilité – comme cela est le cas au Sénat aujourd’hui – que les centristes soient dans le même groupe parlementaire, pourquoi pas. En revanche, donner sa confiance à quelqu’un qui en a mal usé à plusieurs reprises n’est, de loin, pas le sentiment majoritaire à l’UDI.
En juin dernier sur Public Sénat et Sud Radio, vous avez affirmé qu’ « au soir du 2ème tour de l’élection présidentielle, il y aurait besoin de construire des majorités plus larges, franchissant les frontières habituelles avec des gens qui peut-être d’ailleurs ont participé à l’actuel gouvernement. » A qui pensez-vous tout particulièrement ?
Je pense moins à des gens qu’à une situation politique. Je refuse d’imaginer l’hypothèse où un candidat, qui aurait gagné le premier tour de la présidentielle et se retrouverait face à l’extrême droite, ferme la porte à tous ceux qui appelleraient à voter pour lui. Imaginons qu’Alain Juppé, Bruno Le Maire ou François Fillon soit le candidat désigné à la primaire et se trouve qualifié au second tour de la présidentielle. Face au FN, on imagine aisément François Hollande – parce qu’il sera candidat – l’actuel Premier ministre et la majorité parlementaire appeler à voter pour lui. Et dans ce cas, que fera-t-on ? Pourra-t-on vraiment faire comme si rien ce n’était passé et fonctionné comme avant ? Il n’y aurait pas pire message adressé aux Français et pire façon de construire une majorité pour redresser la France. Les Français voient pourtant qu’il y aurait des convergences possibles entre une partie du gouvernement et de la majorité actuelle, et de l’opposition. Quand on écoute Emmanuel Macron et Manuel Valls, avez-vous le sentiment qu’ils sont totalement incompatibles avec certains des Républicains ? Je ne pense pas. Il faut cesser ce jeu de rôles. Nous devons trouver des chemins de redrressement de la France, en dehors des jeux politiques convenus qui nous condamnent à l’échec une fois de plus. A l’heure actuelle, j’estime qu’il y a davantage de différences entre Emmanuel Macron et Benoît Hamon qu’entre Emmanuel Macron et Benoist Apparu. Mon sentiment, c’est qu’il y a davantage de différences idéologiques à l’intérieur des deux principaux partis qui gouvernent la France tour à tour depuis 35 ans, qu’entre gens sensés s’opposer. Cela uniquement à cause de la règle électorale du scrutin majoritaire à deux tours. La tripartition électorale va faire exploser ces incohérences.
Lire l’interview sur Atlantico (propos recueillis par Thomas Sila)